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Écrit par François Parrain

Réseaux sociaux, preuve informatique et droit du travail

Facebook, MySpace, Copains d’avant, autant de noms qui nous sont familiers et qui s'introduisent aujourd'hui dans nos conversations, notre vie personnelle mais aussi dans notre vie professionnelle comme en témoignent de récentes décisions de justice relative à des licenciements pour "dénigrement des employeurs" sur les réseaux sociaux.

L’intérêt du sujet réside dans l’étendue du phénomène.

La croissance rapide du nombre de contentieux relatifs à des licenciements pour cause de propos injurieux sur Facebook témoigne d’une évolution des pratiques où la frontière de vie privée et de vie professionnelle devient trouble.

Cette tendance ne fera que s'amplifier, à mesure que de nouveaux outils toujours plus performants dans la recherche du contact avec l'autre nous seront proposés.


1. Les apports d’une jurisprudence naissante

La presse et les commentateurs juridiques dissertent – beaucoup – autour d’un nombre restreint de décisions de juges du fond, la Cour de cassation n’ayant pas encore rendu de décision intéressant Facebook ou les autres réseaux sociaux.

Dans ces balbutiements d’une jurisprudence qui n’est pas encore complète, on peut citer quelques décisions :

-        Cour d'Appel de Reims, 9 juin 2010 :

Dans cette affaire, une société éditrice d’un journal notifie un avertissement à l’un de ses salariés, journaliste, pour avoir publié sur le mur Facebook d’une « amie » le message suivant : « Au fait notre chef est un vrai autiste, non ? Tu ne connaitrais pas un centre spécialisé où on pourrait le soigner ? D’ailleurs, est ce que la connerie se soigne ? Alli je retourne dans le pays d’Othe, ça gronde là-bas ! »

Cette « amie » transmet ces propos à la direction du journal.

Le journaliste est sanctionné et il saisit alors le conseil des prud’hommes de Troyes afin de demander l’annulation de l’avertissement reçu de sa direction.

Le conseil des prud’hommes de Troyes prononce la nullité de l’avertissement et condamne le journal à verser des dommages et intérêts à son salarié par un jugement du 16 décembre 2009.

L’employeur forme appel de ce jugement

Par décision du 9 juin 2010, la Cour d’appel approuve les juges de première instance en considérant « qu’aucun nom n’a été indiqué par le salarié et que le terme « chef » ne s’apparente pas systématiquement à la relation professionnelle…qu’il existe en tout état de cause une ambiguïté sur la personne visé …les faits reprochés ne constituent pas un manquement susceptible d’être sanctionné… ».

La Cour précise que: « Nul ne peut ignorer que Facebook, qui est un réseau accessible par connexion internet, ne garantit pas toujours la confidentialité nécessaire ».

De façon pédagogue et dénuée de toute confusion la Cour pose le principe suivant lequel les messages sur les « murs » de Facebook ont un caractère hybride : privé et public.

Ainsi, les juges soulignent que les usagers de Facebook ne maîtrisent pas toujours les paramètres de confidentialité. C'est un détail qui a toute son importance. Et pour cause: les paramètres et applications du site évoluent constamment.

Cet arrêt n’a pas fait grand bruit alors qu’il a inauguré ce contentieux spécifique.

 

-        Conseil de prud’hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT, 19 novembre 2010

A l’inverse, la décision rendue par le Conseil des Prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 19 novembre 2010 a été plus médiatisée et assez controversée.

Peut-être parce que la sanction dont les salariés ont fait était un licenciement.

Dans cette affaire, « trois salariés de la société Alten ont été licenciés pour faute grave, aux motifs d'incitation à la rébellion contre la hiérarchie et dénigrement envers la société sur le site Facebook d'un autre salarié de la société. »

Ces trois salariés discutaient un samedi soir sur la page personnel Facebook de l’un d’entre eux.

Un autre salarié de l’entreprise Alten qui a pu accéder à cette page a transmis son contenu à la supérieure hiérarchique de ces 3 salariés.

Le conseil des Prud’hommes a tout d’abord reçu comme moyen de preuve la capture d’écran Facebook. Il a également considéré qu’il n’y avait pas eu atteinte à la vie privée au moyen d’arguments techniques.

Dès lors que le paramétrage de la page Facebook du salarié rendait accessible aux « amis » d’ « amis », à savoir des personnes non visées par la conversation, les propos tenus par les salariés licenciés, la page personnelle perdait son caractère privé et devenait ainsi publique.

 

-        Cour d’appel de Besançon, Cour d’appel de Rouen, 15 novembre 2011

En condamnant une salariée pour un « abus incontestable de la liberté d’expression », la Cour d’appel de Besançon apporte des précisions sur le caractère hybride de Facebook.

En effet, la juridiction d’appel a jugé à propos de Facebook « que ce réseau doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public », elle ajoute « qu’il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook soit d’adopter les fonctionnalités idoines offertes par ce site, soit de s’assurer préalablement auprès de son interlocuteur qu’il a limité l’accès à son mur ».

Autrement dit la juridiction considère que la salarié qui n’aurait pas pris des précautions en vue de privatiser sa conversation ne peut se prévaloir d’une violation de son espace privé.

Dans cette décision la juridiction met le salarié face à sa responsabilité en soulignant qu’elle «ne pouvait ignorer le fonctionnement du site Facebook » et que si elle souhaitait entretenir une conversation privée, «elle disposait de la faculté de s’entretenir en particulier avec lui en utilisant la fonctionnalité adéquate proposée par le site ».

Dans une affaire du même jour, la Cour d’appel de Rouen considère «qu’il ne peut être affirmé de manière absolue que la jurisprudence actuelle nie à Facebook le caractère d’espace privé, alors que ce réseau peut constituer soit un espace privé, soit un espace public, en fonction des paramétrages effectués par son utilisateur ».

 

-        Cour d’appel de Douai, 16 décembre 2011

Cette décision a été commentée dans la presse comme un nouvel épisode de la « jurisprudence facebook. »

Or, facebook ne joue qu’un rôle mineur dans cette décision même si l’affaire jugée concernait, effectivement, un cas de retrait d’une promesse d’embauche en C.D.D. au motif de propos tenus sur le réseau social.

La Cour n’a pas eu, cependant, à se positionner sur la question puisque s’agissant d’une rupture d’un contrat à durée déterminée, seule la « faute grave » pouvait être invoquée par l’employeur, ce qu’il n’avait pas fait.

L’employeur est donc sanctionné pour l’erreur commise dans sa manière de rompre le contrat et non à raison de l’appréciation portée sur le comportement du salarié.

 

-        Tribunal correctionnel de PARIS, 17ème chambre, 17 janvier 2012.

Dans ce dossier, étaient en cause des propos virulents tenus par une déléguée syndicale à l’encontre de son supérieur hiérarchique sur Facebook.

Bien que nous soyons sur le terrain particulier du droit de la presse (loi du 29 juillet 1881) et que la jurisprudence traditionnelle soit assez clémente avec les titulaires de mandats syndicaux, le Tribunal condamne la salariée pour «délit d’injure publique».

 

Ces différentes décisions illustrent la porosité des sphères publiques et privé et intéressent les libertés fondamentales des salariés à savoir la liberté d'expression et le respect de la vie privée.

Face à ce contentieux naissant sur l’impact des réseaux sociaux dans le domaine professionnel la CNIL est rapidement intervenu en publiant le 10 janvier 2011 sur son site une fiche pratique intitulé « Maitriser les informations publiées sur les réseaux sociaux ».

Dans ce document, la CNIL rappelle quelques règles de base à l’attention des usagers de Facebook, et décrit à travers une vidéo comment utiliser les paramètres de confidentialité.

Par ce biais, l’autorité administrative entend interpeller les usagers des réseaux sociaux notamment Facebook à adopter la plus grande prudence vis-à-vis des contenus qu’ils publient sur leurs pages et des personnes pouvant y avoir accès.

 

2. Les questions en suspens : la fiabilité de la preuve informatique

 

Il semble que dans aucune des décisions citées, les juridictions n’aient été confrontées à des dénégations des salariés concernés quant à leur qualité d’auteur.

Pourtant cette question de l’identification de l’auteur doit être un élément de vigilance majeur dans tout dossier ayant trait à l’utilisation de l’informatique que l’on soit salarié ou employeur.

En effet, les avocats et les juges semblent oublier trop souvent que la question de l’identification formelle d’un internaute ou d’un utilisateur d’informatique est quasiment insoluble.

Le 5 juillet 1993 (il y a 20 ans !), un dessinateur du New Yorker publiait un croquis dont la légende est devenue un adage bien connu des informaticiens : On the Internet, nobody knows you’re a dog ! (Sur internet, personne ne peut savoir que tu es un chien !).

De fait, l’usurpation d’identité sur internet est aussi répandue qu’elle est facile.

A titre d’exemple, il y a plus d’une vingtaine de « Jean Dujardin » sur Facebook dont près d’une dizaine affichent la photo de l’acteur…

Qui se cache derrière un profil facebook ? Comment avoir la certitude que la personne sanctionnée est bien responsable du contenu qui lui est imputé ? De qui émane réellement un mail imprimé sur papier ? A-t-il seulement été envoyé ? Comment prouver que derrière tel ordinateur, il y avait tel personne, et qu’elle est bien l’auteur des faits qu’on lui reproche ?

Cette question est centrale dans une matière – l’informatique au sens large – où le champ des possibles (sur un plan technique) est immense.

Il nous semble impossible de considérer la preuve informatique comme une preuve absolue alors même que, dans le même temps, on constate que des sites internet d’administrations publiques peuvent être détournés, que des e-mails peuvent être captés, que des câbles diplomatiques sont diffusés… bref, que l’outil informatique permet à celui qui en la maîtrise de se faire passer pour qui il veut, quand il le veut, comme il le veut.

De ce constat, malheureusement évident, on peut en déduire que tout est possible :

-        une entreprise peut constituer aisément des preuves contre un salarié ;

-        un salarié peut inventer, lui aussi, des mails qu’il attribue à un supérieur ;

-        un tiers peut avoir intérêt à manipuler des informations pour influer sur l’un ou l’autre, voire les deux.

Les praticiens du droit n’ont pas, en général, un esprit critique très développé sur la « preuve informatique » et ce, pour trois raisons :

-        d’une part, car ils méconnaissent souvent les possibilités pourtant très simples qui sont offertes pour travestir la réalité ;

-        d’autre part, car cette remise en cause, a priori, de la « preuve informatique » conduit à complexifier encore davantage le débat judiciaire qui ne peut s’asseoir sur un socle solide ;

-        enfin, car les raisonnements judiciaires en termes de preuve informatique sont – à tort – calqués sur ceux appliqués depuis longtemps aux preuves par écrit puis, aux fax.

 

Il reste que cette frilosité à remettre en cause la réalité d’un mail, la fiabilité d’un fichier log, l’exhaustivité d’un relevé de connexions internet, finira probablement par disparaître au fur et à mesure d’affaires où des praticiens mettront en avant les lacunes de ces moyens de preuve.

Dans ce contexte, il convient qu’employeurs et salariés soient attentifs à ne pas céder à la tentation d’un abus de liberté d’expression mais également à ne pas être les victimes d’une manipulation.

L’entreprise doit avoir en tête qu’elle sera amenée, le cas échéant, à prouver précisément et par des éléments extrinsèques que le fait qu’elle impute au salarié est bien matériellement exact et qu’il en est bien l’auteur.

Le salarié doit également ne pas hésiter à remettre en cause une preuve informatique si elle lui semble détournée ou travestie.

En résumé, prudence dans un domaine ou les contours entre le vrai et le faux, la liberté et l’abus, l’évidence et la tromperie sont bien plus flous qu’il peut y paraître à première vue.

François PARRAIN, Avocat Lille
Amelle KORBA
 

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